(Anciennes) Nouvelles : D

Musique, littérature, peintures, cinéma, land art, artisanat, photographie, danse...
Jul
Coévoluant
Messages : 7
Enregistré le : mar. 18 déc. 2012 17:36

Deux nouvelles, qui me tiennent beaucoup à coeur, alors pourquoi ne pas les partager ;)

Autobiographie d'un Singe Noir, chapitre 2
Petit, j’avais deux passions. Jouer dehors et regarder la télévision. Lorsqu’un jour mon père vint me chercher pour m’amener au cinéma, mes sentiments étaient mêlés d’excitation et de terreur. Ce grand homme était pour moi un inconnu pour lequel on me forçait, le temps d’un weekend à quitter mon royaume pour un territoire exotique à l’odeur de pipi : Paris. Il avait été remplacé depuis quelques mois déjà par mon beau-père, et tant ses visites que mes exils se faisaient de plus en plus rares. A mon plus grand soulagement. Outre l’odeur ambiante d’urine qui régnait à Paris, l’appartement de mon géniteur abritait deux étranges créatures : Mes demi-sœurs. Métisses à la peau de caramel et aux parfums d’épices, elles revêtaient à mes yeux une aura mystique et sauvage. Et je les aurais adorés, si ces deux amazones n’avaient été cannibales. Dès que l’homme qui m’avait expulsé de ces balls (C’est incroyable d’y penser, non ? il m’a littéralement expulsé. SPLASH !) nous laissait seul tous les trois, mes sœurs se transformaient instantanément en deux horribles goules. Leurs visages restaient inchangés, mais le son de leur voix et leurs expressions devenaient cruelles et affamées.
- Qu’est-ce qu’on mange ce midi Stéphanie, demandait l’une à l’autre. Elles étaient jumelles, ce qui rendait la scène d’autant plus effrayante.
- Et si on mangeait Julian ?
Et pour joindre l’acte à la parole, elles ramenaient de la cuisine une énorme casserole et un couteau de boucher. J’avais quatre ans, et si mes larmes attendrissaient ma mère, elles laissaient ces deux ogresses complètement indifférentes. Parfois, le téléphone sonnait. Mon père appelait pour prendre quelques nouvelles, nous avertir qu’il était retenu ou au contraire arrivait bientôt. En réalité je ne savais nullement pourquoi il appelait. Le téléphone était propriété exclusive de mes deux aînés, et l’unique message qu’elles me rapportaient de mon géniteur était : Papa est d’accord pour qu’on te mange, mais il nous a demandé d’en laisser un bout à ta mère.
J’étais terrifié.

Mon beau-père exécrait deux choses. Que je joue dehors et que je regarde la télévision. Aller au cinéma, sous la tutelle de mon père, était un véritable pied de nez à ce tyran boulimique de domination, en plus d’être la rencontre parfaite entre mes deux passions : Ne pas être à la maison et être face à un écran. Le film choisit fut Jurassic Park (le choix était logique : J’avais quatre ans.) et il m’initia à deux nouveaux amours, l’un commun à tous les enfants des années 90, l’autre à l’ensemble de la population française. Les dinosaures et le mot putain. Jurassic Park est un putain de film.
Parce que j’avais école le lendemain, mon père me reconduisit directement chez ma mère. Fou de joie, à peine eut-il engagé la voiture sur le parking que notre immeuble que j’ouvris la portière, détachais ma ceinture et me propulsais du véhicule en encore marche. Je me souviens de l’ivresse de mes tonneaux, du ciel qui apparaissait et disparaissait en même temps que mon corps roulait sur le bitume, semblable une poupée de chiffon entre les doigts d’un marionnettiste fou et épileptique, des rumeurs des gens, épouvantés :
- Mais il est fou ! Il a balancé son gamin de la voiture !
Sombres idiots, je suis une toupie humaine ! Admirez mon spectacle, mon corps roule et ne s’arrêtera jamais.

Lorsque l’on me demanda pourquoi j’avais fait ça, je répondis simplement : Je voulais faire comme Jurassic Park !


Ce fut mon dernier putain souvenir d’enfant de mon père.




Sans Titre


Strasbourg, la capitale des vampires français. Nous sommes Place Kléber, à l’heure où l’astre diurne abandonne la ville aux morsures du froid et au vent glacial de l’automne ; tout est calme, baigné dans les lueurs pâles des lampadaires électriques, une brusque bourrasque souffle et fait tourbillonner des flocons de neiges blancs, semblables à de petites danseuses étoiles de boites à musique vendues dans les Weihnachtsmarkt. Demain, ils recouvriront les larges trottoirs d’un moelleux tapis blanc sur lequel les enfants mortels s’amuseront à dessiner des anges. Ce soir, ils sont à l’abri bien au chaud.
La parade des jeunes gens élégants s’est tût depuis bien longtemps – les strasbourgeois ne sont pas des noctambules – emmitouflés dans leur épais manteaux synthétique, orné de fourrure en plastique, les derniers retardataires s’empressent de rejoindre les bus, ne manquant jamais de glisser sur de fines plaques de verglas, sous les rires ronronnant de leurs compagnons.
Une vieille maison de colombage, jadis modeste demeure d’un négociant de fromage (y’a-t-il quelque chose de modeste en France?) renaissait aujourd’hui sous les couleurs d’un restaurant. Au-dessus des toits de tuiles rouges, de gros nuages gris s’étalaient dans le ciel, comme peints avec les doigts, mer indolente recouvrant les étoiles. Ah ! Cela ne manquait jamais de me couper le souffle, ce ciel pâle de l’est français vibrant d’une lumière presque éteinte et d’une agitation somnolente mais sans fin.
Non loin de là s’élevait l’immense cathédrale de Strasbourg, géante dame de pierres dont j’étais l’ainé de cent ans. Plus au sud, marquant l’entrée de la ville rugissait l’autoroute d’où s’échappait un flot constant de ces voitures européennes aux bruits et aux odeurs aussi infernales que les ruelles parisiennes de la renaissance.
Dans les calmes jardins éthérés de L’Orangerie, les gardiens s’évertuaient à rentrer les derniers animaux à l’abri de la nuit, sous le chant cristallins des eaux sombres du Rhin.
A bout de l’Avenue de la Forêt Noire, les étudiants se pressaient à la sortie de l’université, bien heureux d’être libéré de leurs maigres obligations, leurs éclats de voix résonnant jusqu’à mes oreilles. Sur les quais d’un tramway, des couples s’étreignaient sans pudeur, comme pour reproduire une photographie de Doisneau.
C’est tout cela Strasbourg, la citée Est, où en s’éloignant à peine de quelques kilomètres dans la campagne résonnait encore les murmurent des patois anciens et germaniques.
C’est une ville parfaite pour un vampire ; la frontière allemande expliquant très bien les mystérieuses disparitions ; je ne pouvais me résoudre en m’en éloigner bien longtemps.

Ce soir, la chasse était ouverte. Je ne convoitais pas un gros gibier, puisse-t-il y encore y en avoir pour un démon de ma trempe, mais une banale étudiante dont ni le froid ni l’épais manteau fourré ne parvenais camoufler l’odeur salé de sa chaire transpirante à mon l’odorat surnaturel.
Ah ! J’aurais traversé un continent pour elle, mais elle était ici à m’attendre. C’est par ses rêves psychédéliques que je l’ai rencontré, captant ses pensées oniriques lors d’une ballade dans le mental de mortels. Il ne m’a pas fallu bien longtemps pour découvrir en détail les futilités de son histoire, rapportée par elle-même sur ce Facebook, et moins longtemps encore pour mettre en lumière les coins sombre de son esprit, un simple tour pour le dieu ténébreux que je suis, et qui à des milliers de kilomètres pouvait lire dans les pensées. Elle vivait à Lille, mais c’est à Strasbourg que j’allais la cueillir. Ah ! L’endroit était parfait pour cette passion ; c’est ce soir que j’aurai le plaisir de mettre un terme à son existence, dans une délicieuse et cruelle éteindre, sans la moindre étincelle d’illumination morale.


J’étais debout derrière les fenêtres ouverte d’un petit appartement que je conservais dans un quartier modeste prêt de la gare, humant l’air comme un loup sorti de la forêt, laissant de temps en temps mon ouïe surnaturelle vagabonder dans la rue qui s’étendait face à moi.
Elle était presque prête, je parvenais à capter chacune de ses pensées sur le quai de la gare « Il fait froid bordel ici ! Mais il neige, ça c’est cool ! », Comme si elle discutait de vive voix juste à côté de moi.
Il était temps que je m’habille pour la femme de mes rêves.
Dans le désordre habituel de mes habits jonchant le sol, à l’instar de vulgaires torchons jetés à la va-vite, je saisis un pantalon en jean noir moulant, habillement parsemé de trou et un simple T-shirt blanc sur lequel on pouvait lire écrit en lettres noires The Sex Pistols – leur bassiste avait eu un goût de merde. Certes, cela ne convenait guère à cette froide nuit, il fallait en convenir, mais les intempéries me laissaient toutes de marbres, je ne craignais ni le froid ni la chaleur. D’un bref regard j’examinais le résultat dans le miroir. Jamais aucun mortel ne s’y tromperait, je n’avais rien d’humain. Ma peau métisse était lisse et semblable à celle d’une statue antique parfaitement conservée, mes deux yeux noisettes possédaient un éclat hypnotique capable d’ensorceler le premier quidam rencontré, et mes ongles ; mes ongles étaient d’un vitreux trop révélateurs. D’habitude je prenais le temps de me couvrir d’un soupçon de camouflage, entendez par là lunettes noires, gants et maquillage, mais ce soir je n’avais que faire de tout cela, la mort se pressait au bord de mes deux canines et rien d’autres ne m’importaient plus que de les en délivrer.
Ah ! Ma foi je lui briserai le cœur comme aucun mortel ne lui aura jamais brisé.
Je sautai à travers la fenêtre et atterri sur le trottoir de la rue Wissembourg si rapidement que je semblai simplement apparaître. Mais personne ne regardait. J’étais l’arbre du proverbe tombant au milieu de la forêt. Il ne me fallut pas plus de quelques minutes pour la retrouver et la rejoindre.
Les humains parfois sentent notre présence, leurs poils s’hérissent sur leur nuque, un frisson leur dévore l’échine, une ineffable envie de fuir leur saisit l’estomac, comme s’ils étaient munis d’un instinct de survie qui s’activait à la vue d’un prédateur invisible. Elle n’échappa pas à la règle.
J’étais sur ses talons, sans prendre le temps de toucher la terre ferme pour me déplacer, la laissant me voir immobile un instant sous un lampadaire, et fonçant au moment où elle tournait au coin d’une rue. Nous continuâmes sur la moitié d’un bloc avant que je ne me laisse flotter vers elle, forme floue pour les mortels qui ne prirent pas la peine de me remarquer. Puis je m’immobilisais auprès d’elle et j’entendis son gémissement tandis qu’elle se mit à courir.
Pendant des blocs nous jouâmes à ce jeu. Elle courait, elle s’arrêtait, elle m’apercevait derrière elle et se précipitait de plus belle. La sueur ruisselait sur tout son corps ; trempant ses sous-vêtements de coton sur sa peau imberbe. Elle finit par arriver devant son hôtel, et l’inattendu se produisit : Elle m’attendait. Dressée sur le trottoir d’en face, le dos droit et l’air sûr elle me targuait du regard et me défiait mentalement de la dépouiller ici, sur le parvis. Haha, elle me prenait pour un voleur, un vulgaire voleur. Il ne lui fallut que quelques secondes pour se rendre compte à quelle point elle se trompait. Je fonçai vers elle et disparu presque aussitôt à son regard ; elle n’eut pas le temps de pousser un cri que je la pris dans mes bras. L’odeur de ses cheveux propres me monta aux narines, se mêlant aux relents des fibres synthétiques de sa chemise. Je nous déposai sur un toit un peu plus loin et avant même qu’elle n’eut repris son souffle plantai mes crocs dans la peau humide et tannée de son cou. Hmmm. Mutter, Schwester, Tochter. Mon amante. Que c’était bon.
Une fontaine s’ouvrit ; sa vie était un torrent chaud qui s’exfiltrait de ses veines jusqu’à ma bouche. Tous ses éclats de voix, ses joies et ses peines se bousculaient dans mon cerveau, chaque instant de sa vie, depuis sa naissance prit place dans ma mémoire en même temps qu’elle les revivait. Je la serrai encore un peu plus fort contre ma poitrine, pressant ses seins contre mon torse et d’un geste maladroit lui brisai les côtes. Mais elle ne le remarqua même pas, elle était déjà morte. Je la lâchai et elle s’effondra sans un bruit, délivré de mon étreinte. Je fermai les yeux et me laissai emporter par les tourbillons brûlant de son sang qui parcourait à présent mon corps.
Que diable avais-je fait ? Je l’avais tué, elle !
Mon dieu…où étaient les anges du paradis et les démons de l’enfer ? Ne devraient-ils pas venir me chercher, me prendre et me plonger dans un feu éternel ?! Pourquoi Dieu ne l’avait-il pas protégé ? Je suis le diable, le démon, le mal, un vampire ! N’y-t-il donc personne pour protéger de ma malice les pauvres âmes innocentes ? L’envie de pleurer me saisit.
Qu’avais-je fait ?
Je lui jetai un ultime regard qu’elle ne me rendit pas. Ses yeux étaient aussi pales que la lune.
Je sautai de toit et m’éloignai du lieu de mon délit.
Pardonne-moi mon amour…
Sur mes joues, deux larmes tracèrent un humide chemin ensanglanté.
Cocoon
Coévoluant
Messages : 88
Enregistré le : jeu. 30 juil. 2015 22:03

Bonjour Julien

Merci pour ce partage :)

j'ai beaucoup aimé la première nouvelle, le ton du narrateur, le côté décalé, les soeurs cannibales, et enfin la chute..
pour la deuxième j'avoue avoir décroché..

tu en écris souvent ?
bonne soirée
Répondre

Retourner vers « Vos créations artistiques »